Renforcer la loi sur la protection des sources (des journalistes)

Promesse partiellement tenue

Promesse partiellement tenue de François Hollande

Une loi...

Le 12 février 2013, la ministre de la Justice Christiane Taubira indique que le projet de loi sur la protection des sources est "prêt". Il doit remplacer la loi de 2010, jugée insuffisante au regard de plusieurs affaires comme celle des fadettes du Monde.

Le 3 mai, elle annonce sa présentation "dans les prochains jours"  en Conseil des ministres.

C'est finalement le 12 juin 2013, que Christiane Taubira présente un projet de loi en Conseil des ministres. Le texte prévoit trois évolutions majeures:

  • interdiction de toute atteinte au secret des sources (écoutes, réquisitions de fadettes, perquisitions) sauf si elle est justifiée par "la prévention ou la répression d'une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation"
  • nécessité impérieuse de l'accord d'un juge du siège, autre que le magistrat en charge des investigations, pour ordonner ces actes
  • aggravation des sanctions pénales pour atteinte au secret des sources (amendes de 30.000 à 75.000 euros) 

Si Le Monde se fend d'un édito dénonçant une reculade en raison de la présence de cette exception concernant l'atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, le projet de loi dans sa version actuelle semble bien respecter l'engagement de départ d'un renforcement de la protection des sources des journalistes.

Le Monde regrette quand même que les ambitions de la Garde des Sceaux sur ce texte aient été réduites sous la pression conjuguée du ministère de l'Intérieur et du Conseil d'Etat. La formulation de départ reprenait la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme : "Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi."

... repoussée à plusieurs reprises

La loi était censée être présentée au Parlement dans les 6 mois à venir, soit avant la fin de l'année 2013.

Le 5 décembre 2013, invitée par le Centre de formation des journalsites (CFJ) à Paris, Christiane Taubira indique que la loi doit passer devant le Parlement à partir de janvier 2014.

Prévu pour le 16 janvier 2014, le projet de loi sur la protection des sources est retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée le 8 janvier au profit de la prescription des délits de presse. Aucune nouvelle date n'est indiquée.

Initialement prévue pour janvier puis repoussée jusqu'en mai, la loi n'est pas censée être votée avant l'été, selon les informations de Mediapart. Le pure player indique en effet que la loi ne figure pas dans le calendrier parlementaire dressé le 23 avril recensant les lois examinées au Parlement d'ici fin juillet. Contactée par Mediapart, la députée PS et rapporteure de la loi Marie-Anne Chapdelaine explique "ne pas maîtrise(r) l'ordre du jour du gouvernement" et qu'il faut "tenir compte des priorités économiques".

La pratique 

 

Début février 2014, Christiane Taubira se range de l'avis du Conseil supérieur de la magistrature qui a décidé de ne pas sanctionner le magistrat Philippe Courroye pour avoir tenté de découvrir illégalement les sources de deux journalistes du Monde.

Selon l'Express du 5 février, Manuel Valls aurait demandé à ses services d'identifier les sources d'un journaliste du Figaro. La Société des journalistes du Figaro réagit, rappelant que "le secret des sources est une règle intangible dans une démocratie digne de ce nom". Le ministre de l'Intérieur dément cette information "totalement infondée".

Le 19 juillet 2014, le directeur du "Monde" Gilles Van Kote déplore le report récurrent du projet de loi, élaboré par Christiane Taubira, visant à renforcer la protection du secret des sources et accuse : "L'information judiciaire ouverte vendredi 18 juillet par le procureur de Paris pour « violation du secret de l'instruction et de l'enquête » et « recel » de ces délits, après la publication dans nos colonnes, le 12 juillet, d'une série d'articles sur l'affaire de corruption et de trafic d'influence dans laquelle Nicolas Sarkozy est mis en examen, vise purement et simplement à identifier les sources du Monde".

Concernant le volet "trafic d'influence" ouvert contre Nicolas Sarkozy, le Canard Enchaîné du 13 août 2014 révèle que les deux juges d'instruction chargées de ce dossier ont demandé à l'Office central de lutte contre la corruption de lister les appels, enregistrés sur les postes fixes du pôle financier, vers les numéros de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les journalistes du Monde qui suivent cette affaire.

Ces actualités démontrent "l'urgence d'adopter un nouveau dispositif législatif", selon Reporters sans frontières, qui s'inquiète, dans un article du 31 juillet, du report sine die du projet de loi.

En décembre 2014, la ministre de la culture, Fleur Pellerin, déclare que le gouvernement n’a "pas renoncé à légiférer" sur le sujet, soulignant que cela exige "un travail difficile et long"

Le 19 janvier 2015, dans un discours prononcé à l’occasion du 70e anniversaire de l’Agence France-Presse, François Hollande s'engage à ce que le projet de loi soit examiné au Parlement dans l'année.

Le projet de loi Macron amendé

Fin janvier 2015, la presse et certaines ONG montent immédiatement au créneau au sujet de l'instauration d'un "secret des affaires" susceptible de brider sa liberté. Le projet de loi sur la croissance et l'activité avait été amendé pour instaurer ce secret qui lutterait contre l'espionnage industriel. 

Emmanuel Macron, lors de ses voeux à la profession, déclare que "la liberté de la presse est essentielle". "Et en aucune façon, le texte que je porte n'a cherché à restreindre la liberté de la presse. Plusieurs amendements seront apportés au projet de loi sur la croissance et l'activité débattu actuellement à l'Assemblée nationale"

Le 29 janvier 2015, l'amendement sur le "secret des affaires" est retiré du projet de loi Macron. Selon le journal Le Monde, la décision aurait été prise directement par François Hollande et le ministre de l'Économie Emmanuel Macron face à la polémique grandissante

Si la pénalisation et l'encadrement du droit des affaires a été finalement retiré en France, le débat reste d'actualité à Bruxelles. En 2013, la Commission européenne a déposé une directive sur le sujet, approuvée par le Parlement européen, puis par les Etats européens en mai 2016. Cependant, le texte protège les journalistes et les lanceurs d'alerte quand ceux-ci dénoncent des pratiques, même légales, contraires à l'intérêt général.

Finalement en 2016 ...

La proposition de loi portée par le séputé socialiste Patrick Bloche visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, est déposée le 2 février 2016 à l'Assemblée nationale.

Mais alors que la loi avait été adoptée par le Parlement, le Conseil constitutionnel, saisi le 10 octobre 2016, censure l'article 4 relatif à la protection des sources. Il considère que « le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté d’expression et de communication » et « d’autre part, plusieurs autres exigences constitutionnelles, en particulier le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la recherche des auteurs d’infraction. »

 

Le Conseil reproche à l'article en question de définir trop largement l'immunité pénale qu'il instituait, "tant pour les personnes protégées que pour les délits couverts", ainsi que de protéger "l'ensemble des collaborateurs de la rédaction".

 

Au lieu de ça, la loi prévoit seulement que les journalistes ont le droit de refuser de divulguer leurs sources, et ne protège que les lanceurs d'alerte, en affirmant que "la détention de documents provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l'enquête ou de l'instruction ou du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel lorsque ces documents contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique"

 

La protection des sources des journalistes n'a donc pas complètement été renforcée, censurée par le Conseil constitutionnel.

 

 

 

 

 

 

Calendrier en retard

Le 11 juin 2012, lors de l'annonce du projet de loi, Christiane Taubira a indiqué qu'il serait examiné "rapidement" : "Ce sera, après la loi sur le harcèlement sexuel, l'une des premières prochaines lois". Le projet n'a finalement été présenté que le 12 juin 2013, sans calendrier prévu pour un examen parlementaire. A la fin de l'année 2013, Christiane Taubira indique que le projet de loi sera présenté en janvier 2014 au Parlement. Alors que le vote de la loi était évoqué pour courant été 2014, il a finalement été reporté sine die. Néanmoins, en janvier 2015, François Hollande s'est engagé à ce que le projet de loi soit "discuté au Parlement cette année".  Le 8 février 2016, le gouvernement engage la procédure accélérée. Quelques jours plus tôt, le 2 février, plusieurs députés socialistes, dont MM. Bruno Le Roux et Patrick Bloche, avaient déposé à l'Assemblée nationale la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. L'Assemblée l'adopte en première lecture avec modifications le 8 mars 2016, tout comme le Sénat, le 26 mai 2016, avec modifications également. Après désaccord en Commission mixte paritaire, le texte définitif a été adopté par l'Assemblée nationale le 6 octobre 2016. Le Séant, lui, avait adopté la question préalable le 29 septembre 2016. Saisi le 10 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré le 10 novembre 2016 l'article 4 relatif à la protection du secret des sources des journalistes. La promesse n'a donc pas été tenue. La loi a été promulguée le 14 novembre 2016 et publiée au Journal officiel le lendemain.        

Type de promesse : Projet présidentiel

Mots-clés : JournalismemédiasJustice